lundi 14 septembre 2009

La Bombe à Fées

Jojo crie beaucoup, pleure facilement, frappe parfois, trépigne souvent. Mais à la moindre histoire, il tend l’oreille, écoute, oublie sa colère, pose des questions, s’intéresse à la réponse, prend des décisions, regarde autour de lui et sourit. Jojo a sept ans et demi, il est beau, il a une petite sœur toute calme, gentille et rigolote.
Sa maman travaille, on est en août et sa grand-mère n’est pas là. Il vient le matin chez son copain Boulette. Ils sont quatre, avec aussi sa frangine et Mon Minou, à participer aux activités que propose émilie, ma nièce, 19 ans, animatrice pour enfants. Émilie s’exprime dans un espagnol approximatif et ne sait pas raconter des histoires. Jojo se surpasse les premiers jours, un vrai sale gosse. Ma nièce finit ses journées au bord de la dépression.

Pendant ce temps, moi j’écris. Sur les lieux du désastre. Je me boucle dans le bureau mais les cris se foutent des cloisons et télescopent l’idée qui surgit enfin. Je termine l’HDR (voir journal d’un e.c. en dispo) et je souffre. L’idée est là mais mon corps peine à la coucher sur le papier. Elle représente la fin d’une attention continue de plus de deux ans, d’un travail quotidien qui ne me nourrit plus et m’épuise. Je marche dans la pièce, je sers les poings, « oui, je peux y arriver, je dois terminer… Ne pas avoir peur ». Je combats mes monstres.
Alors je sors de mon antre et trouve Jojo en pleurs au milieu de ses camarades stupéfaits et d’une jeune fille déboussolée, les bras ballants. J’écoute, l’affaire est grave, Jojo raconte : Mon Minou ne veut pas qu’il joue avec les playmobils qui ont des armes, justement ceux qu’il voulait. Boulette n’est pas non plus tout rose, il fait semblant de ne pas entendre. La petite sœur est dans la tente à peluches, loin du conflit. Je mime la scène avec des grands gestes et des cris ridicules, on rit. Jojo trouve la solution : il s’éloigne sans rien dire, il est calmé et ses copains sont étonnés et même un peu penauds. Petit à petit, ils découvrent un terrain d’entente et recommencent à jouer ensemble. Moi, je préviens : « J’ai besoin de calme pour tuer mes montres. J’en ai plein, c’est affreux. Si j’y arrive, je vous raconterais, promis. Mais en attendant, allez jouer dehors ».

Depuis, tous les jours, Jojo me demande des nouvelles de mes montres : « Alors, tu les as tués ? ».
- Pas encore. Attends.
Arrive le jour où je décide de mettre un point final à ce qui est devenu mon pensum. Jojo est là, au bord du caprice. Je m’approche :
- Veux-tu que je te raconte ?
- Tu les as tués ?
- Non, c’est impossible, on ne peut pas les tuer. A chaque fois que tu en tues un, des milliers ressurgissent, encore plus vilains.
- …
- Mais j’ai rencontré une toute petite fée. Elle a un pouvoir extraordinaire sur les monstres. Elle s’infiltre jusqu’à leurs oreilles et elle raconte des histoires. Le monstre se transforme. Il perd ses forces ou alors il devient bénéfique pour les humains.
- Et la fée, tu peux la tuer ?
- Non, elle est immortelle. Mais elle est cachée, elle a besoin de nous pour sortir de ses cachettes et déployer son pouvoir. On doit chercher, creuser et surtout raconter, écouter, rêver.
- Et les cauchemars ?
- Ce sont aussi des histoires. Toutes les histoires sont valables pour transformer les montres.
- Mais moi ça me fait pleurer les cauchemars !
- C’est bon aussi de pleurer…
Je n’ai pas le temps de finir, Jojo est déjà parti se préparer pour aller au parc. Cinq minutes avant, il refusait de décoller du piano de Boulette, et maintenant, il entraîne tout le monde, même émilie. Il a envie de jouer, de rire.

Plus tard, je raconte ce qui s’est passé à Mon Minou, neuf ans, qui a le mot de la fin : « C’est comme dans la vie quoi ! ».
Alors je dis que je peux envoyer ma « Bombe à Fée », encore des BAF en perspective !
On cherche aussi une autre traduction pour cet épouvantable acronyme HDR. On roule en bicyclette le long de la mer, marée basse et soleil estival, foule refusant que se terminent les vacances, ville toujours animée et premières odeurs de l’automne avec les noisettes, les pommes, les mûres et les figues à portée de main sur le chemin.

Je ne sais plus qui a trouvé :

Hada Del Rinconín…

(fée du recoin - El Rinconín, c’est le nom de notre résidence…).